Histoire des écritures de témoignage dans le monde judéo-polonais au XXe siècle

Ce séminaire s’intéresse aux pratiques et aux formes de l’écriture de témoignage telles qu’elles sont apparues au lendemain de la Seconde guerre mondiale chez les survivants du monde judéo-polonais anéanti par la Catastrophe – qu’on n’appelait pas encore Shoah. Il promeut une approche historique des écrits, qui les envisage, ainsi que leurs modalités de publication, de circulation et d’appropriation, comme autant d’événements de leur temps, et non pas seulement comme des sources.

De langue majoritairement yiddish, mais aussi d’autres langues autochtones (polonais, russe), ou plus tardivement de la langue de leur pays d’émigration, les auteurs de ces écrits, tout en s’appuyant sur des compétences littéraires et historiographiques forgées dans la Pologne juive d’avant-guerre, ont élaboré des formes inédites pour dire, raconter, figurer la Catastrophe. Loin de la figure sacralisée du témoin survivant qui s’imposera plus tard, on verra dans ce séminaire comment ces écrits du « juste après » déclinent une multitude d’expériences (dans les camps, les ghettos, la clandestinité, la résistance) selon une variété de registres et de formes (documentaire, fictionnelle, poétique), qui sont fortement liés aux pratiques de l’écrit dans le temps de la guerre – poèmes, journaux, notes, et entreprises collectives, comme les archives des ghettos. On tentera d’éclairer, dans le même mouvement, les contextes fortement politisés de la production et de la publication de ces écrits, ainsi que d’apprécier les modalités de l’effacement de ces contextes, pendant la guerre froide, et après.

Cette approche sociohistorique des écrits permet de les recontextualiser dans les temps et les espaces de leur production et présente, pour la recherche actuelle, un double intérêt : en remontant le fil du « témoignage de la Shoah » désormais constitué en genre, voire en institution, elle met en lumière tout un pan longtemps laissé dans l’ombre de l’histoire du témoignage et contribue au questionnement sur les liens entre histoire et littérature. Ces écrits eux-mêmes, jusque-là peu accessibles aux chercheurs, proposent enfin une historiographie précoce de certains sujets (les relations judéo-polonaises, le rôle des populations locales, le retour des survivants et la reconstruction dans l’immédiat après-guerre) qui, longtemps restés tabous derrière le rideau de fer, sont revenus en force dans les débats récents des historiens de la Shoah.

http://www.ehess.fr/fr/enseignement/enseignements/2014/ue/918/