Menachem Kipnis (1878-1942)

 

Chanteur yiddish, folkloriste, journaliste et photographe, présenté comme le « folkloriste yiddish le plus connu et le plus populaire en Pologne, collecteur de chansons et de contes populaires yiddish » (Gottesman), Menachem Kipnis est né à Ushomir, en Volynie en Ukraine, en 1878, dans une famille hassidique de chantres. Orphelin à l’âge de huit ans, il vit avec son frère, Peysye Khazn, chantre lui aussi (et père de l’écrivain yiddish et hébraïque Levin Kipnis). Il reçoit une éducation juive traditionnelle au kheder et rejoint son frère dans le chœur de la synagogue de Tchernobyl. Il est très apprécié pour sa voix d’alto. Quand il perd sa voix aiguë, il voyage avec un autre frère en charrette à cheval pour vendre des œufs et du lait. Après avoir développé sa voix de ténor vers l’âge de 18 ans, il chante dans le Korshul de la synagogue de Zhitomir. Il étudie la musique et devient soliste avec plusieurs chantres. Il tourne notamment avec le chantre Zeydele Rovner en Pologne, Ukraine et Lituanie. En 1901, il déménage à Varsovie, où il étudie au Conservatoire. En 1902, il gagne le concours pour devenir le premier ténor de l’opéra national de Varsovie, où il reste six ans. Cette même année, il commence à publier sur divers aspects de la musique juive, d’abord en hébreu dans le journal Hamelitz et ensuite dans les journaux yiddish Der Shtral, et Di roman-tsaytung.

Il gagne en notoriété dans la presse yiddish avec sa participation au quotidien Der Haynt, dans lequel il publie, en plus des article sur des chantres, des musiciens juifs connus ou sur la musique juive, des billets humoristiques et populaires sur des types juifs et des voyages.

En 1913, il commence à collecter sérieusement des chansons et contes populaires juifs alors qu’il fait des tournées de concert d’opéra et de hazones. Il cherche à toucher le monde de langue polonaise, ce qui lui vaut la critique de son propre éditeur au Shtral qui lui reproche de chanter dans beaucoup de langues sauf le yiddish. Cela semble avoir changé à la vieille de la Première Guerre Mondiale. Il avait été en contact avec Ansky qui admirait son travail. Un article sur le folkloriste Shmuel Lehman commence avec une réminiscence : « Il y a treize ans, lorsque j’ai montré à S. Ansky ma collection de chansons provenant des villes et bourgades de Pologne, Lituanie, Kurland et tous les lieux où j’ai donné des concerts et erré pendant les années d’occupation de la guerre mondiale, Ansky m’avait complimenté : « Pour un tel effort, chapeau ! » (Gottesman). Il commence alors à présenter lors de ses concerts des chansons yiddish populaires, combinant performance et conférence sur les chansons traditionnelles juives qu’il a collectées. Il parcourt abondamment l’Europe avec sa partenaire de chant, sa future femme qui fut auparavant son étudiante, Zimre Zeligfeld. A partir de ce matériel collecté, il publie trois ouvrages avant la guerre (voir bibliographie).

Kipnis excelle aussi en tant que photographe, spécialement dans les portraits de la vie juive populaire. Ses photos paraissent dans de nombreuses revues et journaux, en particulier dans le supplément artistique du dimanche (Sunday art Section) du journal yiddish new-yorkais le Jewish Daily Forward (Forverts) dès les années 1920, aux côtés de celles d’Alter Kacyzne. Cet aspect de sa vie artistique fait partie de sa dévotion pour le folklore juif. A travers la photographie, Kipnis et les autres pensent qu’ils capturent un « monde en train de disparaître» (a « vanishing world ») de la vie juive traditionnelle. Kipnis collecte non seulement des chansons, mais aussi des artefacts – canes, montres, et équipement photographiques.

Pendant la Seconde guerre mondiale, Kipnis et Zeligfeld ont été enfermés dans le ghetto de Varsovie. Kipnis a soigneusement conservé sa collection de folklore, avec l’espoir de le publier après la guerre. Après sa mort en mai 1942 d’une hémorragie cérébrale, sa femme a refusé de confier son matériel à Oyneg Shabes, les archives clandestines dirigées par Emanuel Ringelblum dans le ghetto de Varsovie. Elle est morte à Treblinka et la collection n’a jamais été retrouvée.

L’intérêt pour les chansons populaires était à son apogée entre les deux guerres. Kipnis avait hérité d’une fascination croissante pour les chansons yiddish, mais son travail de collecte et ses concerts ont véritablement contribué à populariser le genre. Héritier d’une tradition de zamlung, ses livres de chansons se vendaient par milliers, alors que ceux d’autres folkloristes, comme Lehman ou Prilutsky, en beaucoup plus petit nombre.

 

Bibliographie

  • Ouvrages de l’auteur

60 yidishe folkslider mitn notn : fun M. Kipnis un Z. Zeligfelds repertuar (Warsaw, A. Gitlin, 1918

80 yidishe folkslider : fun M. Kipnis un Z. Zeligfelds repertuar (Warsaw ; A. Gitlin,1925

Khelemer mayses (Warsaw ; Sz. Cukier, 1930).

  • Bibliographie secondaire

Y.N. Gottesman, Defining the Yiddish nation. The Jewish folklorists of Poland, Wayne State University Press, 2003.

Samuel D. Kassow, Qui écrira notre histoire ? Les archives secrètes du ghetto de Varsovie (2007), Paris, Grasset, 2012.

Judith Lindenberg, « Les recueils de chants et d’histoire populaire dans la collection Dos poylishe yidntum : une entreprise de sauvegarde mémorielle », in Jean Baumgarten, Cécile Trautmann Wailer (éd.), Rabbins et savants au village, Paris, Éditions du CNRS, 2014, p.227-247.

Rédaction : Éléonore Biezunski

Édition : Judith Lindenberg