N°21: Oyfn rand fun opgrunt : fun yidishn lebn in Poyln, 1927-1933 [Au bord de l’abime : de la vie juive en Pologne, 1927-1933]

Titre : Oyfn rand fun opgrunt : fun yidishn lebn in Poyln, 1927-1933 [Au bord de l’abime : de la vie juive en Pologne, 1927-1933]

Auteur : Yankev Leshtshinski

Lieu : Buenos Aires, Union des Juifs Polonais en Argentine

Année : 1947

N° : 21

Nombre de pages : 247

Volume : 1

Présentation de l’ouvrage

Le recueil comprend quinze articles de longueurs différentes.

Chapitre 1

« Sur la sociologie de la judéité polonaise » (« Tsu der sotsyologye fun poylishn yidntum») est un texte assez long, divisé en plusieurs parties. On ne sait pas clairement quand cet article a été écrit, parce que l’auteur y mentionne la Shoah. Il peut s’agir d’un texte spécialement rédigé pour cet ouvrage, ou d’un texte écrit avant la guerre et mis à jour par Leshtshinski. En dépit du titre, il n’est pas vraiment académique, au moins en ce qui concerne l’emploi de la terminologie. Par exemple, en parlant de l’assimilation, Leshtshinski se sert de telles catégories comme l’assimilation destructive (asimilyatsye-khurbn, p. 16). Il glorifie le rôle des Juifs polonais dans le monde (on sent une sorte de suprématie ashkénaze). Selon l’auteur, les Juifs polonais ont un caractère national très particulier : La continuité et l’enracinement, le traditionalisme profond et l’inertie, un robuste conservatisme religieux et national, un instinct national exceptionnellement vigoureux et un orgueil national très prononcé et presque démonstratif, un sentiment de la responsabilité nationale digne d’admiration, et une discipline nationale maximale en comparaison avec les autres communautés juives dans la diaspora – toutes ces qualités, caractéristiques des Juifs polonais, sont en bonne partie le résultat des longues années de vie en continuité sur la même terre, sous le même ciel, près de la même Vistule (p.17). Après cette affirmation, Leshtshinski nie pourtant les liens et les influences entre les Juifs et les non-Juifs et parle d’une séparation physique. Selon lui, les Juifs polonais n’avaient pas de liens intimes avec la langue polonaise (p. 28). De plus, les Juifs et les Polonais vivaient dans les deux sphères culturelles totalement séparées. Plus loin, Leshtshinski parle de la séparation économique, politique et sociale, ainsi que de la politique antisémite de l’État polonais.

Chapitre 2

« L’épidémie de suicides parmi les Juifs polonais » : le désespoir est peut-être plus destructif qu’un pogrome (fartsveyflung makht on a khurbn, vos iz efsher shreklekher fun a pogrom,p. 55). Une comparaison entre les suicides en Allemagne, où les liens communautaires et familiaux sont brisés, et en Pologne, où ces liens existent mais les suicides ont pourtant lieu : « ce n’est pas l’individu qui est malade […], mais la collectivité, le peuple » (p.57). Les raisons : l’antisémitisme, la discrimination, la crise économique. La deuxième partie de l’article est composée des extraits des journaux (surtout le Haynt varsovien) sur les divers cas de suicides. L’éthique des journalistes semble souvent assez sujette à caution. Leshtshinski lui-même cite une lettre de lecteur qui critiquait la présentation du thème dans les journaux yiddish.

Chapitre 3

« Les Juifs s’évanouissent de faim dans les rues » (« Yidn faln in gas khaloshes fun hunger ») : l’auteur parle de la pauvreté et du désespoir des Juifs polonais, analyse de nouveau plusieurs cas de suicides et essaie d’expliquer les raisons, comme la discrimination étatique, les actes de violence répandus etc. Il prophétise des révoltes des Ukrainiens et des Biélorusses dans les régions orientales de Pologne et une vague de violence contre les Juifs qui devrait les suivre.

Chapitre 4

« Le déluge des lettres de change » (« A farfleytsung fun vekselekh ») décrit le phénomène des lettres de change pour des sommes petites. Les Juifs sont forcés de les utiliser parce qu’ils ne peuvent pas recevoir du crédit dans les banques polonaises.

Chapitre 5

« Le bolchevisme national » (« Der natsyonaler bolshevism ») : Leshtshinski critique la politique de monopolisation économique du gouvernement polonais, qu’il appelle ‘le bolchevisme national’. Il parle aussi du « ghetto économique », expulsion des Juifs des différentes industries ainsi que des institutions étatiques.

Chapitre 6

« Trois quarts de la population juive en Pologne n’a pas suffisamment de nourriture » (« Dray fertl fun der yidisher bafelkerung hot nisht genug tsum esn ») : l’auteur étudie les effets de la Première guerre mondiale sur la population juive, qui a causé la paupérisation générale, malgré les quelques nouveaux riches, les effets négatifs sur l’industrie et le commerce. Il se livre à une analyse des déclarations d’impôts de Vilnius et de Lvov qui montrent le niveau de pauvreté.

Chapitre 7

« La cruauté des ministres polonais vis-à-vis des problèmes juifs » (« Di hartslozikeyt fun di poylishe ministorn tsu yidishe tsores ») raconte les entretiens à propos de la discrimination des Juifs en Pologne que l’auteur a eu avec le premier ministre Kazimierz Bartel et le ministre de l’éducation en tant que correspondent de Forverts. Selon l’auteur, Bartel était complètement indifférent, « même pas un antisémite »     (« er iz afile keyn antisemit nisht », 134) et a refusé d’admettre ou de discuter les faits sur la discrimination que Leshtshinski lui a présentés.

Chapitre 8

« La nuit sur le vieux marché » (« Bay nakht oyfn altn mark »). Le titre fait référence au drame très connu de l’écrivain Y. L. Peretz. Leshtshinski parle d’une scène particulière, où les morts dansent dans le marché du shtetl et la compare à la situation des petits-commerçants juifs très appauvris qui constituent un milieu socialement marginalisé.

Chapitre 9

« La destruction de la vie économique juive à Lodz » (« Der khurbn funem yidishn ekonomishn lebn in Lodzh »: les malheurs des artisans juifs dans le quartier appauvri de Balut à Lodz. Les fabricants juifs qui ne veulent pas employer des ouvriers juifs, le chômage.

Chapitre 10

« Le déclin des Juifs de Vilnius » (« Di yeride fun vilner yidn »). Dans cet article, Leshtshinski décrit ses impressions après une visite à Vilnius, où il est allé après onze ans, dans le but de faire des recherches sur la situation économique des Juifs polonais. Il visite les commerçants, qui souffrent beaucoup de concurrence polonaise et de l’antisémitisme étatique, les artisans, les écoles professionnelles (on trouve des biographies d’élèves). La crise économique est profonde du fait de la perte du marché russe après la Première guerre mondiale.

Chapitre 11

« Vilne juive en déclin » (« Di gefalene yidishe Vilne ») : la situation économique très difficile à Vilnius : Vilnius est maintenant une ville morte (Vilne iz itst a toyte shtot, p. 182); comme après un pogrom (vi nokh a pogrom, p. 182) ; le mot ‘destruction’ est trop faible (dos vort ‘khurbn’ iz tsu shvakh, p. 184). Il décrit les commerces qui sont forcées à se fermer. Concurrence, antisémitisme, suicides, impôts trop élevés. Besoin du soutien communautaire.

Chapitre 12

« Les superflus » (« Iberike »). Cet article est également consacré aux suicides parmi les Juifs polonais et en présente plusieurs cas.

Chapitre 13

« Les douleurs de l’accouchement de la classe ouvrière juive » (« Di khevle-leyde fun yidishn arbeter-klas ») : les ouvriers juifs et la concurrence des paysans polonais. La psychologie juive (en bref, les Juifs se posent trop de questions et les fabricants ne veulent pas les embaucher). Quelques biographies de tisseurs à Bialystok. Selon l’auteur, la différence entre les ouvriers juifs et non-juifs est en train de disparaitre à cause des changements psychologiques chez les Juifs.

Chapitre 14

« Les origines d’un fabricant juif » (« Der yikhes fun yidishn fabrikant ») est un portrait sociologique et anthropologique des entrepreneurs juifs (dans ce cas-là, des fabricants de textile). Leshtshinski analyse un corpus des biographies et conclut que les entrepreneurs juifs viennent de plus ou moins même milieu que les ouvriers juifs, ce qui n’est pas le cas parmi les non-Juifs.

Chapitre 15

« Les tragédies de l’émigration » (« Emigratsye-tragedyes »). L’article essaie d’attirer l’attention des Juifs américains aux difficultés d’émigration subies par les Juifs polonais et en donne plusieurs exemples. L’importance du soutien financier aux membres de la famille en Pologne est également soulignée, ainsi que le rôle d’organisations telles que la HIAS (Hebrew Immigrant Aid Society).

Configuration d’écriture

Paratexte

Préface de l’auteur, « Au bord de l’abîme », mai 1947 (p.7-14)

Leshtshinski y explique que le livre est un recueil d’articles qu’il avait écrits entre 1927 et 1933. Selon lui, il n’a pas du tout changé les textes. La question posée dans l’ouvrage est la suivante : « comment les ghettos juifs historiquement volontaires ont commencé à se gonfler en Pologne restaurée, parce qu’on a construit des barrières hautes contre toutes ces forces qui s’élançaient […] en dehors des ghettos vers la culture du pays dans le sens le plus large du terme » (p. 8). Néanmoins, selon l’auteur, les Juifs polonais soulignaient intentionnellement leur altérité et les processus de l’émancipation et de l’assimilation chez les Juifs polonais étaient très lents. Plus loin il fait référence à un article qu’il avait publié dans un magazine russe en 1906, lequel s’appelait aussi « Au bord de l’abime » et était sur les pogromes liés à la révolution de 1905 : et à ce jour-ci tous les Juifs européens se trouvent non plus au bord de l’abime, mais dans l’abime profond, très profond (p. 11-12).

 

  • Illustration

La couverture souple est illustrée d’une photo des vendeurs de rue juifs. Le photographe n’est pas indiqué.

Le livre est illustré par quelques photos d’Alter Katsizne, Roman Vishniac et M. Kipnis, surtout des portraits des artisans juifs en Pologne.

Crédit

Rédaction: Akvile Grigoraviciute et Judith Lindenberg

Édition: Judith Lindenberg