N°1: Malke Ovshyani Dertseylt… A kronik fun undzer zeyt [Malke Ovshyani raconte…une chronique de notre temps (1946)]

Titre : Malke Ovshyani Dertseylt…A kronik fun undzer zeyt [Malka Ovshyani raconte…une chronique de notre temps]

Auteur : Mark Turkow

Lieu : Buenos Aires, Union des Juifs Polonais en Argentine

Année : 1946

N° : 1

Nombre de pages : 173

Volume : 1

Résumé des chapitres et citations

  • Chapitre 1 : « Malke Ovshyani raconte… »

Description de Malke par Marc Turkow : « une paire de yeux bruns sombres, profonds et intelligents » et son visage avec « un sourire triste, apparaissant rarement ». Il évoque « les mouvements nerveux de ses mains et de ses pieds ». (p.7), « avec une voix étouffée, nerveuse, elle commença à esquisser un épisode après l’autre, un événement après l’autre ». (p.8).

Il mentionne ses poèmes comme des « documents de tout ce à quoi ces Juifs héroïques ont survécu » (p.10).

  • Chapitre 2 : « dans l’heureux shtetl Rakow »

Description du shtetl de Malke, Rakow, situé entre Kielce et Cracovie, à la manière d’un Livre du souvenir : vie culturelle et intellectuelle, divisions politiques et religieuses, lieux de mémoire … Évocation d’une conférence donnée dans une ville alentour par Isaac Shiper, l’un des historiens pionniers de l’histoire juive.

  • Chapitre 3 : « ça a commencé comme ça »

Malke est envoyée par sa mère pour se cacher dans la forêt avec son beau-frère et son cousin.

  • Chapitre 4 : « l’expulsion de Rakow »

La nuit de Yom Kipour 1942 Malke va voir sa mère et voit tous les Juifs de la ville rassembler dans la synagogue. Le lendemain, la déportation des Juifs de Rakow commence.

  • Chapitre 5 : « les voisins polonais »

Après être restée cachée trois semaines dans la forêt, Malke se rend chez des voisins polonais, chez lesquels son frère s’était caché. Les voisins se sont emparés des meubles de la maison de Malke et lui apprennent que son frère s’est enfui. Au lieu de l’aider, ils tentent de lui prendre ses chaussures et son manteau.

  • Chapitre 6 : « les derniers juifs de Chmielnik »

Après avoir erré Malke arrive à Chmielnik où elle trouve refuge avec son beau-frère chez des connaissances.

  • Chapitre 7 : « la journée tragique »

Peu après son arrivée, la déportation des Juifs de Chmielnik commence. Malke s’enfuit mais elle est rattrapée et mise dans un transport. Elle assiste à la liquidation du shtetl de Stopnitz et arrive finalement au camp de travail de Kielce.

  • Chapitre 8 : le travail d’esclave / chapitre 9 : dans l’industrie de guerre nazie / chapitre 10 : la vie d’esclave

Malke travail dans une usine de munition. Elle parle des conditions d’esclavages et du sadisme des gardes, et de sa prise de conscience progressive du sort fait aux juifs à travers l’arrivée de transports. En mars 1944 un transport arrive rempli de vêtements de personnes de tout âge et de toutes conditions.

  • chapitre 11 : « l’annonce de la rupture »

En juin 1944 le camp de Kielce est évacué et les détenus sont mis dans un transport.

  • Chapitre 12 : « dans les sales tranchées allemandes »

Après avoir traversé de nombreux shtetlekh déserts, le transport arrive à Prsedborsz où ils doivent creuser des tranchées dans l’attente de l’arrivée de l’armée rouge.

  • Chapitre 13 : « Auschwitz »

93 personnes dont 23 femmes sont sélectionnées pour aller travailler à l’usine. À l’arrivée quelqu’un prononce le nom « Auschwitz ». Les femmes sont regroupées avec d’autres femmes qui leur apprennent la réalité du camp d’extermination, les sélections, les chambres à gaz ; elles prennent conscience de ce à quoi elles ont échappé à Kielce.

  • Chapitre 14 : « numéro 68313 »

Après un temps indéterminé (Malke ne se souvient pas combien de temps elle est restée à Auschwitz), les femmes sont conduites à Ravensbrück où elles arrivent en septembre 1944. On leur attribue un numéro, non tatoué mais indiqué sur leurs uniformes.

  • Chapitre 15 : « la république des femmes prisonnières » / chapitre 16 : « dans l’agonie du nazisme »

C’est le nom que Malke et ses camarades donnent à Ravensbrück. Elles sont soumises aux lois du camp (quarantaine, baraques surpeuplées faim et froid, esclavage) jusqu’à leur libération le 25 avril 1945.

  • Chapitre 17 : la fin de l’esclavage / chapitre 18 : le chemin vers la liberté / chapitre 19 : nouveaux gens…

Escortées par la Croix rouge, Malke et ses compagnes quittent le camp et traversent l’Allemagne en ruine jusqu’à atteindre le Danemark et la Suède, où elles sont placées dans une série de camps de personnes déplacées près de Malmö.

  • Chapitre 20 : « libérées et – pas encore libres »

« Elles n’étaient pas libres des terribles souvenirs de tout ce qu’elles avaient vu et souffert » (p.153). Le moment de la libération est aussi celui de la prise de conscience de tout ce qu’elles ont perdu.

  • Chapitre 21 : « le dernier camp »

Parmi ses amies qui attendent que leurs sorts se décident, Malke est une exception : comme son père a émigré à Buenos Aires avant la guerre elle reçoit un visa et un billet et embarque pour l’Argentine le 4 novembre 1945. Elle sera la première survivante à arriver à Buenos Aires.

  • « En guide de postface » : pour nous la guerre est perdue…

À la fin de l’ouvrage, il y a seulement un post-scriptum écrit par Marc Turkow intitulé « Pour nous la guerre est perdue (en guise de post-scriptum) », qui pose la question de la relation entre l’écriture et la survie pendant la guerre et qui comprend des extraits de poèmes écrits par Malka Ovshyani et ses amies pendant la guerre. Dans un de ces poèmes, une des amies de Malka Ovshyani écrit, justement, « pour moi la guerre est perdue » car, bien que la guerre soit terminée, tout a été détruit, y compris sa famille et la judéité polonaise.

« C’est précisément dans les moments les plus désespérés dans leur amère destinée, que ces personnes en souffrance cherchent la force dans l’écriture de poèmes » (p.168).

Dans les dernières pages du récit, Marc Turkow raconte une conférence donnée en septembre 1945 par Nachman Blumental, l’un des membres fondateurs de la CZKH, sur la valeur historique et artistiques des écrits littéraires produits sous le nazisme. Blumental met l’accent sur la grande variété de genres qui compose cette production (poésie, mémoires, roman). Marc Turkow choisit de clore ce premier volume par un choix de poèmes de Malke et ses camarades écrits pendant la guerre. Le titre du chapitre est emprunté à un de ces poèmes.

Lien

http://www.yiddishbookcenter.org/collections/yiddish-books/spb-nybc207842/turkov-mark-malke-avshyani-dertseylt-a-khronik-fun-undzer-tsayt

Contexte, configuration d’écriture, publication

Cet ouvrage raconte le récit de Malke Ovshyani (une survivante), mais il a été écrit par Marc Turkow. Marc Turkow a rencontré Malke à l’Union des Juifs Polonais en Argentine, société d’entraide (« landmanshaft ») qui deviendra la maison d’édition de la collection en novembre 1945 (le mois de son arrivée à Buenos Aires), elle lui a raconté son histoire et c’est à partir de ce récit qu’il a écrit le livre. Selon le préfacier de la traduction en espagnol (voir « Traductions»), Marc Turkow aurait enregistré Malke Ovshyani.

On peut constater la très grande proximité entre le moment de l’arrivée de Malke et de sa rencontre avec Marc Turkow (novembre 1945) et la publication de l’ouvrage (mars 1946). L’ouvrage contient six chapitres sur l’après-guerre ; le moment de l’arrivée de Malke en Argentine qui constitue la fin du récit précède de peu le moment de la rencontre entre Malke et Marc Turkow. Tout cela contribue à un sentiment de continuité entre les événements racontés et le moment de la publication.

L’introduction ne traite pas de cet ouvrage en particulier mais de la collection qu’il inaugure. C’est une déclaration d’intention qui définit le projet de la collection. Marc Turkow a déjà une vision précise de la variété des thèmes et des formes d’écritures qui vont composer la collection. Les deux grands axes chronologiques sont la Pologne juive d’avant la guerre et l’histoire de la Catastrophe.

« Le désir de l’Union Centrale des Juifs Polonais en Argentine est d’apporter sa contribution, à travers la publication d’une série de livres, à la glorieuse histoire du judaïsme polonais. À travers les descriptions des auteurs eux-mêmes, les livres offriront des matériaux sur le tragique présent du judaïsme polonais, sur ses souffrances et ses joies, sur ses luttes et ses exploits.

Villes et villages, où a palpité autrefois une vie juive colorée, et qui furent rayés de la terre par les assassins nazis, épisodes et événements marquants de la communauté juive de Pologne aujourd’hui détruite, souvenirs de personnalités célèbres, liées à la vie et à la création du judaïsme polonais, feront partie des principaux thèmes abordés par ces livres et livrets que nous allons publier.

L’histoire antérieure du judaïsme polonais jusqu’aux événements tragiques survenus récemment occuperont une place importante parmi les publications » (p.5-6).

L’encart final reprend de manière condensée les axes de la collection.

La collection de l’Union Centrale des Juifs Polonais en Argentine « Dos poylishe yidntum » doit se trouver dans chaque foyer juif.

Souvenirs  de l’ancien foyer / description des villes et des villages / biographie de célèbres personnalités yiddish / documents sur le khurbn de la judéité polonaise / l’histoire de cent ans de vie yiddish en Pologne / œuvres de célèbres écrivains et personnalités : telle sera le contenu de la série  « Dos poylishe yidntum » (p.175)

Ces deux déclarations programmatiques (de la préface et de l’encart) se font écho l’un à l’autre et déroulent déjà tout le projet de la collection dans sa variété : la collection se déploie sur plusieurs axes chronologiques (histoire antérieure / histoire récente) mettant en exergue la rupture représentée par la Catastrophe. Elle se décompose en plusieurs thématiques, qui correspondent à des genres répertoriés : monographies (« villes et villages »), histoire événementielle (« épisodes et événements marquants »), Mémoires (« souvenirs de personnalités célèbres »), biographie, littérature. L’encart en fin de volume reprend sous forme d’énumération condensée la même répartition.

Dans cette énumération, la mention de « documents sur la Catastrophe de la judéité polonaise » pour désigner les écrits sur le génocide apparaît particulièrement intéressante car elle convoque des visions et des manières de faire propre au monde judéo-polonais.

Marc Turkow qualifie dans le premier chapitre le récit de Malke de « document authentique » (p.12) : les « documents » qui seront publiés dans la collection, dans les premières années (1946-1950) obéissent à plusieurs configurations : soit ils ont été produits dans le temps même de la Catastrophe, par des victimes du nazisme (Viernik, Tabaksblat), soit par des tiers (Grossman, Turkow) à partir de paroles de survivants. Ces documents correspondent à ce qu’on appellera par la suite « témoignages » mais avec des critères différents : l’auteur n’est pas forcément le survivant, le récit n’est pas focalisé uniquement sur la déportation mais sur l’ensemble de la durée de la guerre, y compris sur la sortie de guerre (voir le récit de Malke) ; l’éventail de formes utilisé est large, allant du journal, à la fiction, en passant par le recueil de poèmes. Il n’y a pas alors de contradiction entre l’usage de formes littéraires et la valeur historique du récit. La dimension historique découle aussi des conditions de productions des documents : tout écrit produit dans le temps de la Catastrophe est perçu de facto comme un  « document historique ».

Le faisceau d’indication fourni par le paratexte et par des éléments externes – la mention de la rencontre entre Malke et Marc Turkow, la liste des titres à paraître, le fait que la préface soit programmatique – font penser que l’idée de la collection est née de cette rencontre avec la jeune survivante tout juste débarquée en Argentine, alors que l’éditeur avait plutôt en tête des ouvrages sur la Pologne d’avant, comme l’indiquent les titres à paraître, qui désignent des lieux (Varsovie, Lublin, Belz) ou des figures (Peretz, Korczac) historiques et symboliques de la   « judéité polonaise ». Toutefois, la mention d’un ouvrage réunissant les textes de Vassili Grossman et Yankel Viernik sur Treblinka, deux textes historiques autant par leur contenu que par leurs conditions de productions indique une continuité concernant la publication de            « documents sur la Catastrophe » qui appartient, en tant qu’événement et plus encore en tant que pratiques d’écriture et de publications sur cet événements, à une actualité récente.

La prise de la collection sur l’actualité apparaît aussi à travers l’encart qui mentionne la participation de la collection à des actions sociales (voir « Encadré »).

Thèmes historiographiques, culturels

Plusieurs éléments du récit de l’expérience de Malke sont caractéristiques des « documents sur la Catastrophe de l’époque » et diffère des « témoignages de la Shoah ».

L’amplitude chronologique du récit : le récit de Marc Turkow commence lors du déclenchement de la guerre et va jusqu’à après la Libération : six chapitres sont consacrés à l’après-guerre.

Les thèmes historiographiques : la relations judéo-polonaises, la sortie de guerre (DP)

Au fil de cet itinéraire, Malke traverse de nombreuses expériences qui constituent autant d’aspect de la vie des Juifs sous l’occupation nazie : vie clandestine dans la forêt, du côté aryen, déportation dans un camp de travail. Parmi ces expériences, plusieurs ont longtemps été ignorées et ont commencé à être traitées récemment par l’historiographie de la Shoah : le comportement des « voisins » polonais face aux Juifs ou encore le retour des Juifs après la Libération.

Le rôle des femmes : à partir de la déportation de Malke à Auschwitz puis à Ravensbrück, le rôle du groupe de femmes avec qui elle est déportée puis libérée devient déterminant : l’entraide et la solidarité apparaissent comme des clefs de la survie de la jeune fille.

Le rôle de la poésie : les poèmes écrits, conservés par Malke et ses amies et publiés par Marc Turkow jouent un rôle essentiel dans sa survie : ils sont un moyen de résistance psychique et intellectuel. L’écriture de poème apparaît comme un motif récurrent de l’expérience des Juifs Polonais sous le nazisme et particulièrement des jeunes ; elle a été analysée comme phénomène culturel et sociologique par Michel Borwicz dans son ouvrage Écrits des condamnés à morts sous l’occupation nazie. Cette pratique se rattache à la grande place de l’écriture de soi dans l’éducation judéo-polonaise sécularisée avant la guerre.

La présence des intellectuels et de la culture : le récit de Malke est encadré par la présence d’intellectuels de l’époque : dans le premier chapitre, par une allusion à Isaac Shiper, historien pionnier de l’histoire juive, venu faire une conférence dans une ville voisine ; dans le dernier chapitre, à travers la mention d’une conférence donnée par Nachman Blumental (voir « en guise de postface »). Le passage de l’un à l’autre marque la forte présence des intellectuels et de leur implication dans la vie judéo-polonaise, avant et après le génocide.

Entre ethnographie et reportage : la manière dont le récit de Malke a été recueilli par Marc Turkow se rattache à la pratique de collecte de témoignages qui a eu cours déjà pendant le génocide et a été systématisée et formalisée par la Commission Centrale Historique Juive, notamment à travers la rédaction d’un guide méthodologique composé de questionnaires pour former des collecteurs (« zamlers ») aux entretiens avec les survivants. Cette pratique découle en droite ligne du geste ethnographique de la collecte des sources qui était au fondement de la culture savante judéo-polonaise avant-guerre. C’est pourquoi, même si Marc Turkow a quitté la Pologne en 1939, il n’est pas surprenant qu’il utilise les mêmes méthodes que la CKZH. Par ailleurs, Marc Turkow était avant la guerre un journaliste reporter, il a publié des récits de voyage (voir paratexte) ; le genre du reportage littéraire était très répandu en Pologne avant-guerre et son récit se ressent aussi de cette influence.

Du document au témoignage : si l’on se place du strict point de vue du contenu, cet écrit, en tant que récit de survivant du génocide, se présente comme un « témoignage de la Shoah » avant la lettre. Mais tous ces éléments (division auteur/témoin, amplitude chronologique, thèmes historiographiques, influence de l’ethnographie et du reportage) en font un type d’écrit très éloigné de ce type d’écrit tel qu’il s’est formé à partir du milieu des années cinquante, qui doit être recontextualisé dans les pratiques de savoirs et d’écritures du monde judéo-polonais antérieures au génocide.

Paratexte

Encadré : « tous les bénéfices de cet ouvrage seront reversés à l’action d’aide en faveur des enfants juifs survivants qui se trouvent dans les hôpitaux et les sanatoriums de Suède » (p.1)

Préface « aux lecteurs » signée « Union centrale des Juifs Polonais en Argentine » (2 p.)

Illustration : non

Liste des ouvrages à paraître

À paraître

  • H.D. Nomberg : Y.L. Peretz
  • Grossman – Y. Viernik : Treblinka

En cours d’impression

  • Dr E. Ringelblum : Sur lhistoire des Juifs à Varsovie
  • Dr I. Shiper : Les Juifs dans lancienne Pologne
  • Prof. Dr. M. Balaban : La ville juive de Lublin
  • Wasserzug : Janusz Korczac
  • A.L. Schussheim : Figures et épisodes en Galicie
  • Turkow : Lancienne et la nouvelle Varsovie
  • Sh. Wasserman : Belz (Souvenirs dune ville curieuse)
  • Sh. Preiler : Mesricht

Les deux ouvrages « à paraître » seront publiés en numéros 2 et 3 de la collection, en revanche parmi les ouvrages annoncés ensuite, seul celui de Meier Balaban paraîtra (n°11). On constate parmi les auteurs plusieurs historiens importants (outre Balaban, Isaac Shiper et Emmanuel Ringelblum) et un intérêt pour l’histoire des lieux, que l’on peut relier à l’intention première de Marc Turkow de publier un livre du Souvenir sur la Pologne, avant de finalement fonder la collection.

  • Liste des ouvrages publiés par Marc Turkow
  • Encart

 

Traductions

Traduction en espagnol : Malka Ovsyani relata, Cronicas de nuestro tiempo, Buenos Aires, Mila, 2001.

Rédaction: Jennifer Cazenave et Judith Lindenberg

Édition : Judith Lindenberg