Michel Borwicz (1911-1987)

 

Biographie

Michel Borwicz, de son vrai nom Michał Maksymilian Boruchowich, est né à Cracovie en 1911 dans une famille juive polonaise assimilée et polonophone. Il a fait des études de lettres et de sociologie à l’université de Cracovie. Avant la guerre, c’était un homme de lettres, auteur de poèmes, de romans, de critique littéraire. Il a écrit un essai sur Malraux, puis un roman intitulé Amour et race qui a été censuré par les allemands lors de sa publication en 1939. Il était membre du parti socialiste polonais.

Pendant la Seconde guerre mondiale, Michel Borwicz se trouve enfermé dans le ghetto de Lvov en 1941 puis, après la liquidation du ghetto fin 1942, envoyé dans le camp Janowski, dans les faubourgs de Lvov. Il parvient à s’en évader, avec l’aide de ses camarades du Parti socialiste polonais et du réseau Żegota, en septembre 1943. Il passe alors dans la clandestinité, devient le commandant de l’un des districts de l’Armia Krajova [« armée de l’intérieur »], à Miechów, tout demeurant en contact avec la clandestinité juive.

En 1945, Borwicz prend la direction de la branche de la commission historique juive établie Cracovie ; il édite alors, avec Josef Wulf et Nella Rost, un certain nombre de recueils de témoignages, de documents et de poèmes, et publie sous son nom plusieurs ouvrages, dont une monographie sur le camp Janowski, L’Université des bourreaux, et une étude sur « la littérature au camp » – qui portait sur les pratiques littéraires à Janowski et racontait notamment l’histoire de la petite Janka Hescheles, que Borwicz avait rencontré dans le camp Janowski et était parvenu à faire évader à l’automne 1943. Le récit de Janka, rédigé après son évasion et intitulé Dans les yeux d’une fille de douze ans, fut publié, parmi d’autres écrits de ce type, en 1946, par Maria Hochberg et Borwicz lui-même.

Borwicz quitte la Pologne en 1947, et s’établit à Paris, après être passé par la Suède (où s’était installée Nella Rost) et tenté de s’installer aux Etats-Unis. En décembre 1947, il apparaît dans les débats de la grande Conférence des centres de documentation juifs organisée par le Centre de documentation juive contemporaine, non pas en tant que représentant polonais, mais comme directeur d’une institution qu’il vient de créer avec Joseph Wulf, le Centre pour l’étude de l’histoire des Juifs de Pologne. Cette petite association parisienne, à travers laquelle il souhaitait continuer en émigration le travail de collecte et de publication de documents, lui fournit une raison sociale pendant de nombreuses années,

C’est dans cette position d’émigré – fort proche de celle de Joseph Wulf, avec qui il se brouilla et qui partit pour l’Allemagne – qu’il se met à utiliser les matériaux apportés dans sa valise d’émigré pour composer une thèse, dirigée par Georges Gurvitch et soutenue en Sorbonne au printemps 1953. Cette thèse, qui n’était pas une thèse de doctorat d’Etat, mais de doctorat d’Université (diplôme réservé aux étrangers et n’ouvrant droit à aucun poste universitaire), obtint néanmoins une subvention du CNRS pour être publiée par les PUF dans la collection prestigieuse « Esprit de la Résistance », avec une préface de René Cassin. Borwicz est demeuré par la suite un historien indépendant, vivant difficilement de traductions, de conférences, de publications (dont certains sont fondamentales, comme le volume de la collection « Archives » consacré à l’Insurrection du ghetto de Varsovie en 1966) ainsi que de modestes sommes obtenues au titre des réparations allemandes. Borwicz a été pourtant, à Paris, un homme « ressource » pour tous ceux qui, des années 1950 aux années 1970, s’intéressaient de près à l’histoire des Juifs de Pologne. Il collabore avec Olga Wormser-Migot pour son anthologie Tragédie de la Déportation publiée en 1954, il est le conseiller historique du saisissant film de Frédéric Rossif, Le temps du ghetto (1961), rédige de nombreux articles pour des revues comme Evidences, L’Arche ou pour la Revue d’histoire de la Seconde guerre mondiale. Mais après les Ecrits des condamnés à mort, Borwicz ne publie que deux autres livres en français : le livre documentaire consacré à l’insurrection du ghetto de Varsovie en 1966 et, en 1969, chez Casterman, un ouvrage intitulé Vies interdites, sur la vie des Juifs sous une fausse identité. Ce livre constituait une version remaniée de la version publiée, en 1955, en yiddish dans la collection argentine « Dos poylishe yidntum, » sous le titre Arishe Papirn, « papiers aryens », en trois volumes. Borwicz n’avait pas appris le yiddish en Pologne, mais pendant la guerre, puis à son arrivée à Paris, car le milieu judéo-polonais émigré dans la capitale française était essentiellement yiddishophone. Cependant l’ouvrage n’a pas été écrit en yiddish par Borwicz lui-même, mais avec l’aide de traducteurs. Borwicz est mort en 1987. Ses papiers ont été confiés, selon ses vœux, à Yad Vashem.

Bibliographie

  • Ouvrages de l’auteur

Literatura w obozie [Littérature au camp], Commission historique juive de Cracovie, 1946 ;

Uniwersytet zbirów [L’Université des bourreaux], Commission historique juive de Cracovie, 1946, traduction anglaise The University of Criminals, Cracovie, Wysoki Zamek, 2014.

Ze śmercią na ty [En tutoyant la mort], Varsovie, 1946.

Pieśń ujdzie cało [Le chant, lui, survivra], Varsovie, 1947.

Ecrits des condamnés à mort sous l’occupation nazie, Paris, PUF, 1953, republié chez Gallimard en 1973, puis, dans la collection « Folio » en 1996.

Arishe Papirn [Papiers aryens], 3 volumes, Buenos Aires, Union des Juifs Polonais en Argentine, 1955.

1000 ans de vie juive en Pologne, Paris : Centre d’études historiques auprès de l’association des Juifs polonais en France, 1955.

Tsvantsik yor shpeter [Vingt ans après], Paris, 1964.

L’insurrection du ghetto de Varsovie, Paris, collection « Archives », Julliard, 1966, réédition Gallimard 1974.

Vies interdites, Paris, Casterman, 1968.

Spod Szubienicy w teren, Paris, Librairie polonaise, 1980.

Ludzie, książki, spory… [Les hommes, les livres, les controverses], Paris : Księgarnia polska w Paryżu, 1980

  • Ouvrages d’autres auteurs

Janina Hescheles, Oczyma dwunastoletniej dziewczyny, Cracovie, 1946 ; traduction française, Dans les yeux d’une fille de douze ans, Paris, Garnier, 2016.

Les Juifs en Europe (1939-1945), rapports présentés à la première conférence européenne de commissions historiques et des centres de documentation juifs, Paris, Éditions du Centre, CDJC, 1949.

Olga Wormser-Migot (éd.), Tragédie de la Déportation, Paris, Hachette, 1954.

  • Bibliographie secondaire

Ryszard Loew, « Czytanie Borwicza », Dekada Literacka, n° 2 (85), 1994

Judith Lyon-Caen, « “Littérature au camp” et histoire des savoirs sur le témoignage. Autour des Écrits des condamnés à mort sous l’occupation nazie de Michel Borwicz (1953) », dans Contextes, Bibliothèque du Centre de recherches historiques, 2014, p.296-311.

Crédit

Rédaction : Judith Lyon-Caen

Édition : Judith Lindenberg